Damir BEN ALI
De la Création à la Transformation : L’Université des Comores racontée par ses présidents l’Université des Comores a parcouru un chemin significatif depuis ses débuts, et cette évolution a été le résultat d’efforts constants pour relever des défis variés et pour répondre aux besoins changeants de l’enseignement supérieur. Pour mieux comprendre cette transformation, nous avons l’opportunité de discuter avec deux personnalités clés : le premier président de l’université, qui a été témoin de ses débuts, le président DAMIR BEN ALI et le président actuel de l’institution, qui conduit l’université vers de nouveaux horizons, le Dr IBOUROI ALI TABIBOU.
Dans cette interview, nous explorerons les principaux défis auxquels l’université des Comores a dû faire face au cours des dernières années et les initiatives qui façonnent son avenir. Nous analyserons également la manière dont l’identité et la mission de l’université ont évolué depuis ses premiers jours pour mieux répondre aux besoins actuels et futurs de la communauté comorienne. Ces deux perspectives, alliant l’expérience du passé et la vision du présent, offriront un aperçu précieux de l’université des Comores, de son histoire et de sa trajectoire en constante évolution.
1) Pouvez-vous nous parler des circonstances et des motivations qui ont conduit à la création de l’université il y a vingt ans ?
- Damir BEN ALI :
L’université des Comores est le fruit de la forte volonté politique d’un chef de l’État, malgré l’hostilité d’une grande majorité de diplômés des établissements supérieurs étrangers et de l’incompréhension d’une majorité de la population qui a subi quelques années auparavant les affres du PAS (Programme d’ajustement structurel) imposé à l’État par les institutions financières internationales. Dans son discours d’inauguration, le président Azali a exposé les motifs de la création de l’Université des Comores. « Le coût exorbitant payé par les familles pour la formation des enfants à l’étranger, l’humiliation devant les chancelleries étrangères pour l’obtention du visa culturel, les angoisses et les peurs quotidiennes pour l’éloignement des enfants dans les pays lointains, la conviction que seule l’université nationale créera les conditions d’une convergence, d’une symbiose véritable de diverses strates de la pyramide sociale. L’université est un ascenseur social qui garantit l’égalité des chances et une réelle intégration sociale.
Elle dispense à toutes catégories sociales confondues, le même savoir, prédispose aux mêmes opportunités, garantit les mêmes armes pour affronter la vie. Aucune école étrangère, quelles que soient ses qualités, ne peut former ces spécificités, selon les besoins de notre développement, selon nos réalités ».
2) Quels étaient les objectifs et la vision que vous aviez pour l’université à l’époque de sa création ?
- Damir BEN ALI :
En 2002, un comité constitué de hauts cadres de l’éducation nationale, présidé par l’inspecteur général Ottomane Abdou, à la demande du chef de l’État, avait décidé de guérir la blessure faite au peuple par la fermeture de l’ENES, (École nationale d’enseignement supérieur de Mvuni), le premier établissement post-baccalauréat de l’histoire du pays. Les textes que ce comité a élaborés, les missions que ses membres ont effectuées à l’intérieur et à l’extérieur du pays, les enquêtes et les études qu’ils ont réalisées, ont été d’une efficacité remarquable. Ils ont permis de réformer les institutions existantes et de les intégrer dans la nouvelle université. Le projet de créer l’université des Comores a déclenché une forte émotion et une opposition résolue dans différentes catégories de la société.
Le coût d’une université paraissait exorbitant pour un pays qui venait de connaître les affres du PAS (Programme d’ajustement structurel) imposé par les institutions financières internationales La nouvelle génération politique, qui après avoir joué un rôle politique important dans les comités révolutionnaires de 1975-1978, a accédé aux cercles de décisions administratives et politiques au début des années 1990, a été la première à crier au feu.
Les réformes constitutionnelles successives qui émiettaient les superstructures de l’État ont créé ce que Georges BURDEAU a appelé le fédéralisme par ségrégation par opposition au fédéralisme par agrégation ; elles ont élargi le marché des emplois politiques au-delà des limites des ressources financières de l’État sans aucune décentralisation des activités, ni économiques ni bureaucratiques, dans les collectivités intra-insulaires, comme sous le régime révolutionnaire de 1975-1978.
Consciemment ou inconsciemment, cette nouvelle élite bureaucratique visait à pérenniser l’existence d’une minorité sociale de lettrés qui faisait de l’ignorance et de la pauvreté du peuple son fonds de commerce et ne pouvait pas cacher son hostilité à l’égard d’une université nationale dont la première mission est de démocratiser l’enseignement supérieur, au risque de déclasser socialement les diplômes des anciens. La surtaxe de 50 FC sur le prix du riz a été habilement instrumentalisée par les anciens acteurs d’un régime politique dont le succès conservé dans la mémoire collective a été sa manière de gérer les denrées de première nécessité au profit du peuple.
3) Quels ont été les principaux défis auxquels vous avez été confronté lors de la mise en place de l’université, et comment les avez-vous surmontés ?
- Damir BEN ALI :
Un diplômé de l’Université française poussait des cris indignés et citait les ressources matérielles et technologiques indispensables pour être dignes d’ouvrir une université nationale. Il n’arrivait pas à imaginer le temps qu’il faudrait à notre pays pour accumuler les ressources et réunir le personnel compétent pour ouvrir une université. En tant que Comorien, j’ai trouvé que le comité d’Othmane Abdou était formé des Comoriens de culture comorienne. Nous avons tous cru à l’adage comorien : UDOMBOWA NDZIA KAYISHASHIHA YO USHASHIHA HAURENGA USONI Nous l’avons adopté comme devise de notre Université « CLAMER QUE LE CHEMIN EST LONG, NE LE RACCOURCIT PAS, LE RACCOURCIR C’EST FAIRE UN PAS EN AVANT ». À la première rentrée en 2003, le corps des enseignants comptait seulement six titulaires d’un doctorat
4) Quels sont les principaux défis auxquels l’université doit faire face ces dernières années et comment les abordez-vous ?
- Damir BEN ALI :
L’Université des Comores a été confrontée à plusieurs défis majeurs au cours des dernières années. Tout d’abord, la capacité d’accueil est un problème omniprésent dans de nombreuses universités, et notre institution ne fait pas exception. La recherche de solutions pour augmenter cette capacité est devenue une priorité, non seulement pour le développement de l’université mais aussi pour le bien du pays. La croissance rapide de la communauté universitaire a créé un besoin pressant de moyens pour suivre ce rythme, et nous travaillons activement sur des solutions pour y faire face.
Un deuxième défi est la dispersion des sites universitaires à travers le territoire des Comores, avec des sites à Mohéli, Anjouan, et la Grande Comores. L’interconnexion de ces sites est devenue une préoccupation majeure pour garantir une expérience d’apprentissage cohérente et de qualité. La numérisation s’impose comme une solution essentielle pour résoudre ce problème, en permettant une meilleure coordination et une plus grande accessibilité à l’enseignement.
La pandémie de COVID-19 a révélé un autre défi important, mettant en lumière les limites de nos méthodes d’enseignement traditionnelles. Cela nous oblige à repenser nos approches pédagogiques, nos mentalités et nos attitudes pour mieux répondre aux besoins de nos étudiants.
Finalement, les Comoriens évaluent l’université non seulement sur sa capacité à accueillir des étudiants, mais aussi sur sa capacité à encadrer ses étudiants pour les aider à atteindre l’excellence académique. Le défi pédagogique est donc constant et doit être aligné sur les nouvelles méthodes d’enseignement pour s’adapter au contexte actuel. En résumé, l’université ne peut plus être envisagée comme il y a 20 ans. C’est un outil en constante évolution qui doit former les jeunes à s’adapter au nouveau contexte.
5) Pouvez-vous partager quelques réalisations marquantes de votre mandat à la tête de l’université ?
- Damir BEN ALI :
L’UDC a tenu à rendre visibles tous les repères qui font que son enseignement est au niveau de celui des autres universités, notamment francophones, en instaurant une coopération suivie avec de grandes universités étrangères. Des professeurs chevronnés sont venus de Perpignan pour encadrer les enseignants dans les principales disciplines. Ils ont assuré des cours magistraux devant nos étudiants. Ils ont encadré les mémoires et les thèses de nos enseignants chercheurs. Cette coopération universitaire a permis de former 53 docteurs, dont 39 sont des enseignants-chercheurs recrutés avec le DEA (master 2). 14 sont d’anciens élèves du premier cycle de l’université.
L’université employait en 2021 au total 114 docteurs aux grades suivants : Professeurs 3, Maîtres de Conférences 39, Maîtres assistants 40. Seuls 82 enseignants-chercheurs titulaires du doctorat sont recrutés par la fonction publique. 32 docteurs sont employés avec le titre de contractuels et vacataires, certains depuis 2016, ce qui n’encourage pas ces agents à s’investir dans la durée et empêche de procéder aux recrutements d’enseignants-chercheurs qualifiés pour compléter les effectifs, c’est-à-dire qu’à moyen terme tous les enseignants-chercheurs soient titulaires d’un doctorat et que ceux qui en sont déjà titulaires soient professeurs et HDR (habilités à diriger des recherches).
6) Quels sont les Initiatives et projets en cours qui façonnent l’avenir de l’université aujourd’hui ?
+ Ibouroi Ali Tabibou :
L’université des Comores s’engage actuellement dans plusieurs initiatives et projets qui contribuent à façonner son avenir de manière positive. Tout d’abord, pour célébrer les 20 ans de notre institution, nous menons une réflexion pour dresser un bilan de nos réalisations passées. Cette évaluation nous permettra de mettre l’accent sur ce qui a fonctionné et sur ce sur quoi nous devons nous concentrer davantage.
Un exemple concret d’initiative récente est la transition vers les inscriptions en ligne. Grâce à la collaboration des autorités nationales, des partenaires locaux et des institutions bancaires comoriennes, nous avons réussi à rendre le processus d’inscription plus fluide, en évitant les files d’attente aux services postaux. Les inscriptions en ligne sont un progrès significatif pour l’université.
Parallèlement, nous nous efforçons de numériser l’ensemble de l’université, ce qui améliorera l’efficacité de nos opérations. Cette numérisation ne se limite pas à l’interconnexion des sites, mais elle transforme également la manière dont nous travaillons et enseignons.
Un changement majeur se produit dans la mission de l’université, avec une transition vers une orientation plus axée sur la recherche. Des projets sont en cours pour établir une école doctorale, former le personnel, et publier les résultats des recherches menées. Certains de ces projets sont financés par des partenaires tels que l’Union européenne et l’ambassade de France.
Un exemple de projet est“DOCET4AFRICA” financé par ERASMUS 2 de l’Union européenne, et “CRIT FSPI” financé par l’ambassade de France. De plus, des ateliers sont prévus, comme celui avec l’AUF en novembre, consacré à la gouvernance et à l’assurance qualité de notre enseignement. Toutes ces initiatives contribuent à adapter notre institution à l’environnement changeant de la recherche et de l’enseignement.
7) Comment percevez-vous l’évolution de l’université depuis votre départ de la présidence ?
- Damir BEN ALI :
Le corps enseignant, source de l’énergie formatrice, doit acquérir des connaissances plus larges et plus approfondies sur les réalités de l’environnement physique, social et culturel, afin de répondre aux exigences de la formation dans le secteur de l’enseignement supérieur. Il doit recevoir une formation qui permet l’extension et l’approfondissement de ses connaissances, mais également l’acquisition d’une capacité autonome de formation continue. Les assises de l’université, financées par les emprunts aux institutions financières d’endoctrinement occidentales, animées par leurs experts, les formats généraux tels que les rapports d’État des systèmes éducatifs nationaux (RESSENS), initiés et réalisés par la Banque Mondiale, ont éloigné l’Université des ambitions de ses fondateurs et des aspirations des Comoriens. Les bacheliers des écoles les plus performantes de notre pays ne vont pas à l’Université de Comores.
L’UDC accueille les élèves dont les résultats au baccalauréat ne sont pas les plus brillants et les enfants des classes populaires mal défendus dans l’attribution des bourses étrangères. La suppression de la surtaxe sur le riz, la réduction de frais d’instruction, la faiblesse de la subvention de l’État, les difficultés de recruter les enseignants qualifiés par la fonction publique privent l’université des moyens indispensables pour remplir sa mission.
Message aux autorités de l’éducation nationale : Pour que l’UDC soit porteuse des ambitions du peuple, il faut qu’elle soit l’université du peuple, financée par le peuple comme à l’époque de sa naissance, soit par des surtaxes sur les produits de grandes consommations, soit par d’autres manières, mais que le peuple paie directement. Il faut que chaque année le président présente son bilan devant un comité formé des représentants désignés par les différentes régions du pays. L’université de Comores doit appartenir non pas à l’État et surtout pas à un État parti, mais à la nation.
8) Quelle est l’identité et la mission de l’université aujourd’hui par rapport à ses débuts ?
+ Ibouroi Ali Tabibou :
L’identité et la mission de l’université des Comores ont considérablement évolué depuis ses débuts. Au commencement, l’université se concentrait principalement sur les formations liées à la culture, la civilisation et l’histoire des Comores. Cependant, au fil du temps, il est devenu évident que l’université devait s’ouvrir davantage au monde et aux défis modernes.
Une transformation majeure est la nécessité de mettre l’accent sur les formations liées à l’économie nationale. Cela inclut la promotion des produits de rente agricole et du tourisme, des secteurs cruciaux pour les Comores. L’université doit jouer un rôle clé dans la préparation des étudiants à contribuer à l’économie nationale.
Un autre aspect de cette transformation est la promotion de l’arabe dans la région, en tant que pays ayant une civilisation Arabo-musulmane.
Cela doit devenir une caractéristique distinctive de l’université des Comores. De plus, des projets de développement importants sont envisagés, notamment l’ouverture d’une école de médecine pour répondre aux besoins de la communauté en matière de soins de santé.
Enfin, l’université des Comores met l’accent sur l’insertion et l’orientation des étudiants. Les programmes de formation doivent être conçus pour garantir l’employabilité des diplômés, en les préparant à intégrer le marché du travail. Des projets tels que “PROFI” sont mis en œuvre pour soutenir et renforcer les formations techniques, contribuant ainsi à améliorer la qualité des diplômes délivrés par l’université.
L’Université des Comores, née il y a deux décennies dans un contexte politique complexe et avec des défis financiers considérables, a traversé un parcours singulier. Au fil des années, elle a évolué, s’adaptant aux besoins changeants de la société comorienne. Aujourd’hui, cette institution regarde vers l’avenir avec optimisme et ambition. Elle s’engage à rester en phase avec un monde en constante évolution en numérisant ses opérations, en orientant davantage son enseignement vers la recherche, et en cherchant à répondre aux besoins de l’économie nationale. Elle incarne la promesse de l’égalité des chances, de l’accès à l’éducation et de la promotion de la culture nationale. Elle continue à être un acteur clé du développement des Comores et de l’émancipation de sa jeunesse. Cette institution est un témoignage de la persévérance et de la détermination de tout un pays à offrir un avenir meilleur à ses citoyens. Elle est prête à relever les défis à venir avec confiance et ambition pour façonner un avenir radieux pour les Comores.